La Demoiselle en Détresse dans l'histoire du jeu vidéo

L'apparition des “demoiselles en détresse” dans le jeu vidéo est aussi vieille que celle du  héros de jeu vidéo. C’est un personnage récurrent qu’on retrouve dans les plus grosses licences. Vous viennent certainement en tête la princesse Peach ou la princesse Zelda,  ces personnages qui ont longtemps été confinés dans ce rôle passif et impotent. Et pour cause, de façon récurrente, la trame narrative des jeux Mario et Zelda  amène les princesses à se retrouver dans une situation dangereuse dont elles n’arrivent pas à se sortir seule, elles doivent donc attendre que le protagoniste, un personnage masculin vienne les sauver. Un bel objet de la quête, tout en jupons et boucles blondes.

Il était une fois... 

La toute première demoiselle en détresse du jeu vidéo apparaît dès 1981 dans le jeu arcade Donkey Kong. Le joueur incarne un protagoniste moustachu du nom de “Jumpman” qui brave les dangers dans le but de libérer Pauline, une demoiselle en détresse qui a été kidnappée par le méchant Donkey Kong. 

Un héros courageux, un méchant à battre et une jolie jeune fille à sauver. La recette est prête et le schéma qu’on retrouvait déjà dans le cinéma. Superman II (1980) et James Bond contre Dr. No. (1962), deux superproductions américaines mettaient en scène des protagonistes masculins, décrits comme  forts, charismatiques et dotés d’un certain sex-appeal qui sont amenés à venir au secours de jeunes demoiselles en détresse au cours du film. Lois Lane et Honey Ryder collent parfaitement au cliché Le personnage de Honey Ryder dans James Bond contre Dr. No. (1962)de la demoiselle en détresse au cinéma.  Cette dynamique récurrente souligne le stéréotype cinématographique de la femme vulnérable attendant d'être secourue par l'agent secret ou le super-héros masculin. La pop culture a ses habitudes narratives. C’est comme ça qu’on s’est retrouvé avec une tonne de jeux de cette période qui suivaient tous le même schéma narratif.

Le joueur incarne le plus souvent un protagoniste masculin, souvent décrit comme courageux, à la virilité parfois exacerbée, un poil lourdaud, mais surtout prêt à braver tous les dangers pour sauver la princesse en battant son méchant kidnappeur. Le personnage de la demoiselle étant très secondaire, elle n’a généralement pas de nom, elle n’a pas non plus de rôle actif dans la narration, elle est simplement exposée au joueur comme l’objectif à atteindre. Une croix sur une carte montrant au joueur où se trouve la fin du niveau.  Elle sert surtout de faire valoir justifiant la quête du héros, quand elle n’est pas reléguée au rang de simple “Prix” à gagner au terme du jeu.

Le mécanisme sous-jacent à ce schéma repose sur plusieurs éléments narratifs et structurels. Tout d'abord, il met en place une dynamique de pouvoir où le personnage masculin est positionné en tant que sauveur, renforçant ainsi des notions traditionnelles de masculinité héroïque. La demoiselle en détresse, quant à elle, est souvent caractérisée par sa vulnérabilité, créant un besoin constant de protection.

Ce schéma s'appuie également sur l'idée du "récit du héros" classique, où le protagoniste surmonte des obstacles pour atteindre son objectif ultime, qui est souvent de sauver la demoiselle en détresse. Cette structure narrative linéaire peut parfois simplifier le récit au détriment de la complexité des personnages féminins, les réduisant à des rôles passifs et stéréotypés.

Crise de kidnapping chez les princesses des jeux vidéo 

Le cliché de la demoiselle en détresse est récurrent dans de nombreuses licences, et survole tous les genres. On le retrouve dans des jeux de plateformes, Aventure, RPG, Beat’em up. Des demoiselles en détresse par centaines qui n'attendent que d’être sauvées par un vaillant protagoniste. 

Comme illustré par exemple dans Dragon’s Lair  sorti en 1983. Un jeu d’animation Fantasy dans lequel, le courageux chevalier Dirk The Daring affronte d'horribles obstacles et combat des créatures atroces dans un château afin de sauver la princesse Daphné des griffes d'un Dragon maléfique.

Ce schéma se reproduit également dans Super Mario Bros., sorti en 1985, un platformer dans lequel la Princesse Peach, probablement la demoiselle en détresse la plus célèbre du jeu vidéo, doit être sauvée par Mario des griffes de son méchant kidnappeur, Bowser.

Un an plus tard, on retrouve à nouveau ce schéma dans The Legend of Zelda, sorti en 1986. Un RPG dans lequel le courageux chevalier Link est mis à l’épreuve et doit surmonter d'horribles obstacles et combattre d'atroces créatures pour sauver la princesse Zelda des griffes du méchant Ganondorf

Encore un an plus tard, on a eu droit à Double Dragon, l’une des licences qui a contribué le plus au genre du beat’em up. Sorti en 1987,  L'intrigue met en scène les frères Lee, Billy et Jimmy, dont la petite amie, Marian, est enlevée par le gang rival, les Black Warriors et devinez qui doit aller la sauver ? 

Bref, on a cité quelques licences connues, mais des jeux comme ça il y en avait des tonnes ! Qu’elle soit princesse du royaume champignon ou fille du président, les demoiselles en détresse dans le jeu vidéo se sont vues accablées du cliché de personnages dont on ne sait pas grand-chose, qu’on voit finalement assez peu au début ou à la fin du jeu et qui ont pour point commun la faculté incroyable de se faire kidnapper tous les 3 matins.   

Résurgences aujourd’hui

Si vous pensez que le personnage de la demoiselle en danger est réservé au temps révolu des jeux rétros, détrompez-vous. Il n’y a qu'à jeter un œil sur les jeux qui ont remporté des prix en 2023 pour s’en rendre compte. C’est le cas dans The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom qui remporte le prix du jeu d’aventure de l’année 2023 dont le scénario reprend ce même schéma de la demoiselle en détresse tout en tentant de le renouveler (Zelda orchestre tout pour permettre à Link de vaincre Ganon, elle n’en reste pas moins secondaire et objet de l’enquête menée par Link à travers Hyrule). 

Mais également dans Resident Evil 4 Remake, qui remporte le prix de Jeu Horreur de l’année et qui narre l’histoire de l’agent Leon Kennedy qui doit sauver Ashley Graham, la fille du président américain, qui s’est retrouvée kidnappée par une organisation terroriste avant de finir dans un village infesté de zombies.

Des jeux qui sont populaires, appréciés par les joueur·euses et qui continuent de perpétuer le cliché de la demoiselle en détresse 40 ans après la naissance de Mario.
 
Et si aujourd’hui, les éditeurs tentent tant bien que mal de masquer le rôle de la demoiselle en détresse en lui assignant des caractéristiques badass. Il suffit parfois de gratter la surface pour se rendre compte que c’est souvent du pareil au même.

C’est par exemple le cas pour le personnage de SongBird, apparue dans le DLC de Cyberpunk 2077 : Phantom of Liberty. Le personnage est présenté comme une agent de la Federal Intelligence Agency (FIA), une hackeuse ultra talentueuse ayant atteint le statut de légende dans son domaine. Pourtant, elle a besoin de l’aide du protagoniste nommé ”V” pour sauver la présidente de la NEW USA.

Faire-valoir d’un héros masculin

Si au début, les développeurs usaient de la demoiselle en détresse pour donner un sens à la quête du héros, son but ultime. Force est de constater que c’est encore le cas. Les personnages féminins, largement sous-représentés dans ce médium semblent soit voués à servir de faire-valoir au héros, pour faire avancer l’aventure du protagoniste; soit ces demoiselles sont présentées comme des prix à gagner ou un moyen de créer un love interest pour le protagoniste, histoire d’alimenter un peu plus les clichés du héros hétérosexuel de base, comme un miroir du public joueur type de jeu vidéo.. Si le protagoniste, hissé au statut de héros, est au centre de l’histoire, les demoiselles en détresse deviennent bien accessoires, si bien qu’elles finissent par tomber dans l’oubli voir complètement disparaître des licences comme c’était le cas pour Pauline, la toute première demoiselle en détresse qui disparaît complètement de la licence laissant place au héros Mario qui a trouvé une nouvelle princesse à sauver. 

Concevoir des héroïnes et d’autres modèles de masculinité  

Interchangeables, accessoires, objets de quête, de désir, ou faire-valoir du héros, la Demoiselle en détresse est un motif narratif récurrent qui jalonne l’histoire des jeux vidéo. Ce faisant, elle contribue à distiller dans la culture populaire l’idée qu’une femme a besoin d’aide, et qu’elle est donc plus fragile qu’un homme, qui doit être fort et surmonter des épreuves pour avoir la femme comme récompense, le Saint Graal de l’hétérosexualité obligatoire. 
Or, il serait grand temps de faire évoluer les représentations et les modèles héroïques qu’on veut valoriser et incarner : si imaginer des personnages féminins aux capacités masculines est facile et beaucoup plus accepté aujourd’hui (Aloï dans Horizon Forbidden West), il reste aux studios à imaginer d’autres modèles de masculinités, dont les qualités et atouts s’écartent du modèle de l’homme viril, protecteur, violent, fort, mutique, exprimant peu et domptant peu ses émotions, torturé, hétérosexuel… 
Réinventer les personnages et leur quête promet des aventures créatives qui peuvent aussi révolutionner les rapports de domination de notre société patriarcale. Qui a dit que le féminisme ne pouvait pas être inventif et libérateur à la fois?

Article écrit par VinsmOke pour Witch Gamez, 11/01/2024

Avec le soutien du Conseil Supérieur de l'Education aux Médias.

 

 

 

Sources principales utilisées :
Les effets des jeux vidéo à contenu sexiste sur l'objectivation de la femme et sur les stéréotypes de genre par Elisa Sarda - Thèse

L'évolution des représentations genrées dans les jeux vidéo par Fregona, Alexandre [UCL]

Pour aller plus loin :

Feminist Frequency - YT