Le sexisme dans les jeux vidéo : le reflet d'une société patriarcale

Tous les Hauts Faits recensés sur ce site matérialisent une inégalité de traitement entre les femmes* et les hommes cis. Ils ne sont pas des faits isolés, mais font partie d’un système social d’oppression fondé sur le genre : le sexisme. Pour mieux le comprendre, nous vous proposons de définir quelques notions. 

1. Le prisme du genre

Il faut d’abord remarquer que les Hauts Faits de ce site appartiennent tous à d’un vécu de femme. C’est pour cela qu’il est pertinent d’analyser ces vécus par le prisme du genre.

À ce propos, il faut bien sûr distinguer ici les termes “sexe” et “genre”. Là où le sexe fait référence à biologie, le genre, lui, est une construction sociale. Ainsi, l’identité de genre d’une personne peut correspondre ou non au sexe qui lui a été assigné à la naissance. Une personne trans peut donc par exemple avoir ou avoir eu un vécu de femme et subir aussi des violences spécifiques (Beyond the box). C'est pour cela que nous utilisons l'astérisque sur le terme femmes*, gameuses* ou joueuses* afin d'inclure toutes les personnes transgressant les normes de genre. 


2. Qu'est-ce que le sexisme ? 

Système fondé sur une différence de genre entre homme et femme, le sexisme fait référence à des croyances et des comportements qui privilégient le masculin par rapport au féminin. 

Dans n'importe quelle sphère de la société, il attribue des préjugés et des stéréotypes qui dévalorisent les femmes* et leur garantissent des rôles subordonnés aux hommes.

De là, découlent des discriminations à l'égard des femmes et des individus considérés comme telles. Il est bon de préciser que si les stéréotypes de genre sont sources d’assignations autant pour les hommes que pour les femmes, les discriminations, elles, concernent majoritairement les femmes. 

Ainsi, le sexisme se manifeste dans les discours, les comportements et les actions des individus, des groupes d'individus et des institutions. Il peut revêtir aussi bien une couverture insultante que faussement flatteuse — on parle alors de sexisme bienveillant.

Le répertoire des Hauts Faits que nous dressons ensemble prouve que le sexisme n’est pas seulement le fait d’individus isolés, mais qu’il est systémique

En tant que système, le sexisme encourage le harcèlement sexuel, le viol ou toute autre forme de violence sexuelle à l'encontre des femmes*. Il s’inscrit donc dans un continuum allant de la remarque anodine aux plus extrêmes violences : chacun des maillons de la chaîne, chacun des faits isolés encouragent et renforcent un système de domination patriarcale

Nous voulons que la collecte des Hauts Faits de sexisme que nous avons vécus fasse corps dans des revendications égalitaires. Notre lutte contre le sexisme dans la pratique des jeux vidéo prend donc une dimension collective. 


3. Le sexisme dans les jeux vidéo 

  • La moitié des joueurs sont des joueuses 

« Le jeu vidéo [est le] premier média cybernétique de masse » publiait déjà la revue Hermès en 2014. Le constat n’a fait que s’accentuer les années passant, et les femmes* ne sont pas absentes dans cet univers. Leur présence augmente d’année en année dans l’industrie du jeux vidéo, mais malgré cela, elle sont toujours en minorité.

Pourtant, elles constituent près de la moitié du public des jeux vidéo.

Même dans la sphère de l’e-sport en plein développement massif, les femmes* sont de plus en plus nombreuses (parfois même très jeunes). Cette présence dans la sphère compétitive ne se fait pas sans mal, puisqu’ici aussi, le sexisme et le cyberharcélement gâchent la vie des compétitrices et entravent leur progression.

  • les femmes* discriminées à tous les niveaux du secteur

Le jeu vidéo reproduit les rapports de force d’une société patriarcale, tout en ne bénéficiant pas d’une législation suffisante pour protéger les minorités discriminées. Une discrimination par le genre s’effectue principalement au détriment des joueuses* qui se voient attribués des rôles subordonnés (l’infirmière, la soigneuse, la gérante de la logistique…), subissent des attaques sexistes et sont contraintes d’adapter leur comportement : se surpasser, plonger dans l’anonymat, s’isoler dans des communautés plus safes, préférer des jeux où elles s’exposent moins… Les stratégies sont nombreuses pour éviter de subir du sexisme. Tout cela a évidemment un lourd impact sur l’évolution de leur parcours.

Tout comme le racisme, le sexisme est une discrimination systémique au sein du monde du jeu vidéo. Il touche donc aussi les professionnelles* de l'industrie, créatrices* de jeux ou joueuses* compétitives, ainsi que les joueuses* et les créatrices* de contenus en ligne, de déguisements ou cosplays. Dans le milieu professionnel, les rouages du système patriarcal les dissuadent de continuer à jouer et à professer : harcèlement, insultes, dévalorisation salariale, propagation de la culture du viol, stéréotypes sur le niveau des joueuses*...

  • Il y en a pour tout le monde...

Tout le secteur est gangréné par cette violence qui encourage dans le chef des hommes des comportements toxiques pour toutes et tous. Érigeant une virilité hégémonique idéale, le patriarcat opère un travail de sape de toute représentation de la masculinité qui dérogerait à la règle : ainsi, des hommes pâtissent aussi (mais dans une moindre mesure) du sexisme, car tout aspect de leur comportement ne relevant pas d’une masculinité virile, brutale, envahissante, puissante, machiste, sexiste et intolérante se trouve moqué. Constamment en recherche de l’approbation de leur propre virilité par leurs pairs, des hommes à la masculinité toxique font pression sur les autres qui sont poussés à se taire ou à se conformer. Le sexisme touche donc aussi les joueurs masculins bienveillants, dont la masculinité sera niée, laissant notamment place à une homophobie décomplexée


4. Le cyberharcèlement sexiste et sexuel

  • De quoi parle-t-on?

Le cyberharcèlement (selon Besafe.be et le Guide de Défense face au Cyber-harcèlement de Women In Games France) comprend toute forme de harcèlement qui s’effectue via internet (sur les réseaux sociaux, dans les forums, les jeux vidéo en ligne…) dont l'effet et le but est de blesser la personne visée. Cette dégradation peut être pour la victime autant physique que mentale (anxiété, maux de ventre…). La fréquence des comportements et leur teneur (insultes, obscénités, menaces, chantage…) constituent ce cyberharcèlement. Cela peut donc se manifester dans des commentaires, des vidéos, des montages d’images (mèmes, images chocs, ascii art…), des emoji, des messages publics ou privés.

Lorsque le cyberharcèlement est sexiste, il correspond au harcèlement qui s'oppère en raison du sexe, de l’orientation ou de l’identité sexuelle supposée ou réelle d’une personne. Selon le Guide précité de Women In Games, il a pour objet ou pour effet de créer une situation intimidante, humiliante, dégradante ou offensante qui porte ainsi atteinte à la dignité d’une personne. « Il affecte le droit à la sécurité et vise à limiter l’occupation de l’espace, dont le cyberespace, par les femmes mais également de l’espace présentiel. »

Le harcèlement sexiste et sexuel en ligne se traduit concrètement par l’envoi, la publication ou des appels contenant des :Guide pour agir face au cyberharcèlement de Women In Games France et Loisirs Numériques

  • Propos ou images malveillants
  • Injures, diffamation, incitation à la haine
  • Menaces d’agression sexuelle ou de viol
  • Images d’agression sexuelle ou de viol
  • Informations privées

Ces envois, publications ou appels peuvent :

  • Être ponctuels ou réitérés
  • Être à caractère sexuel ou non
  • S’adresser directement à la personne visée par le contenu ou à d’autres personnes que celle visée et dans un espace à accès limité ou dans un espace accessible à tou.te.s 
  • Être envoyés au nom de la personne qui le fait, anonymement (via un pseudonyme) ou en usurpant l’identité d’une personne. Chacun de ces comportements est à l’origine de l’exclusion des femmes de l’espace numérique.

(selon le rapport du HCE 2018 sur les violences faites aux femmes en ligne, lui-même cité dans le Guide de Défense face au Cyber-harcèlement de Women In Games)

Si la victime est souvent seule face au harcèlement qu'elle subit, son agresseur, lui, peut facilement trouver des alliés. Ce phénomène est l'effet de meute.

  • Effet de meute 

L'effet de meute s'observe dans une horde d'animaux : dans un groupe, lorsqu'un de ses membres entreprend une action agressive, le reste du groupe a tendance à le suivre, rendant l'acte premier légitime. De la même façon chez les humains, ce biais de pensée de groupe est aussi présent et anime notamment les mouvements de foule (Psychologie des foules de Gustave Le Bon). Lorsqu’un individu se met à harceler quelqu’un, il peut faire autorité pour sa communauté qui va alors suivre son exemple. Sur internet, on parle « raid numérique » quand une communauté d’individus s’acharne sur une seule personne.

Avant, en France, une victime de harcèlement de meute devait porter plainte contre chacun des auteurs de violence isolément. À présent, la portée juridique s’est agrandie, car la victime peut étendre sa plainte à tous les membres du raid numérique. Chacun s’expose dès lors à des poursuites judiciaires. En Belgique, il semble que cette évolution n’ait pas encore eu lieu…


5. La signalisation sur les jeux vidéo

 

Chez WitchGamez, nous trainons nos armures lourdes, nos strings de plates et nos AK47 depuis un bail dans des champs de bataille sauvages jusque dans les donjons les plus mal famés. 

 


Notre constat est sans équivoque : il y a une méconnaissance du monde du jeu vidéo.


Quand on n’y connait rien, on oscille entre une méfiance à toute épreuve, et la peur que les personnes qui jouent soient des sociopathes en puissance ou le lâcher prise, n’imaginant pas qu’il y a des risques à laisser des tous jeunes enfants se farcir des armées de zombies à coups de hache.  


Combien de fois nous entendons ou constatons que nous jouons avec un enfant qui ne devrait pas être sur ce jeu, qui lui a été offert ou qu’il a emprunté à un.e pote en dépit du PEGI*. 


Mais au-delà de la question sensible et importante des enfants sur des jeux et face à des contenus non adaptés, on peut se poser cette question plus largement. N’est-il pas d’utilité publique d’avoir une idée du contenu pour TOUT le monde ?

Que ce soit pour offrir à sa meilleure pote, sa sœur, la cousine, le petit neveu ou papy qui kiffe, informer sur le contenu du jeu est essentiel à nos yeux.

La violence ne s’exprime pas qu’à travers des coups d’éclats à grands renforts d’armes.

La violence, c’est aussi vivre la narration d’un jeu où les rôles genrés sont extrêmement stéréotypés : prostituée ou infirmière pour vous madame ? et monsieur, videur à gros bras ou soldat ? 


Faut-il alors multiplier les descriptifs de contenu**  ? 

Nous sommes doublement certaines que oui ! 


Oui, il y a nécessité d’avoir des pictogrammes plus précis. Ainsi, le picto « Discrimination » prévu par le PEGI ne se suffit pas. 


Nous souhaitons que ce picto soit décliné en fonction des types de discriminations. Cela est d’abord une information à destination des consommacteurs.rices. Prenons conscience qu’en achetant ce jeu, nous choisissons d’exposer son destinataire à ces types de discriminations et rendons-nous compte de comment elles s’y expriment. 


C’est aussi, et c’est en ça que notre position est aussi radicale, un outil important pour faire prendre conscience aux éditeurs de jeu du nombre de stéréotypes qu’ils mobilisent dans la narration des jeux, dans le choix des personnages, dans la manière de faire vivre l’expérience en jeu.  


Si les Triggers Warnings*** sont finalement discutables , nous avons ici un outil déjà existant, mis en place par l’industrie du jeu vidéo, qui mérite de sortir de la zone d’ombre, et qui demande un réel engagement des éditeurs de jeu. 


Oui, nous pouvons être efficace pour prévenir les discriminations en jeu.  

* voir notre article à ce sujet sur notre page Facebook du 6/12/21 : https://www.facebook.com/witchgamez

** voir notre article à ce sujet sur notre page Facebook du 13/12/21 : https://www.facebook.com/witchgamez

***Article de Slate.fr concernant les Triggers Warnings